Pour la 28ème année consécutive, le Festival de la mode et de la photographie d’Hyères investit fin avril la villa Noailles, une splendide demeure des années 30. Un pari fou, tenu et gagné par Jean-Pierre Blanc qui, il y a des années, avait conçu un évènement majeur pour les jeunes créateurs en France, dans une petite ville provençale, à l’écart de l’industrie de la mode française et, en outre, saccagée par le tourisme. 

 

«Ça aurait pu ne pas marcher, mais ça a marché», avoue Jean-Pierre Blanc. «Quel est le secret de ce succès?» se demande-t-on. «L’entêtement de Jean-Pierre et son talent, il a décidé de le faire malgré tout», répondent ses amis. Et voici que chaque année, depuis 28 ans, 10 jeunes designers et 10 photographes, jusqu’alors inconnus dans le monde de la création (et c’est un peu le but du jeu), présentent leurs premiers travaux à un jury des plus exigeants et réputés. «C’est incroyable le public qu’on peut croiser durant ce festival: ce sont souvent des personnes qui ne seraient peut-être jamais abordables dans d’autres circonstances, sauf que voilà, à Hyères, ils le sont», raconte un habitué du festival. Effectivement, pour le concours de mode, le jury de cette année comprend entre autres, Felipe Oliveira Baptista (directeur artistique Lacoste), Barbara Coutinho (directrice du Museum of Design and Fashion à Lisbonne), Mark Holgate (directeur de l’actualité mode chez Vogue US), Paula Reed (directrice mode de Harvey Nichols), etc. La particularité de ce festival est également d’accorder un réel soutien aux candidats. Ainsi, le salon «Première Vision», partenaire du festival, met les stylistes sélectionnés pour le concours en relation avec des marques qui souhaitent leur offrir des matières premières pour la réalisation de leur collection: tissus imprimés par Puntoseta, laine par The Woolmark Compagny, cristaux par Swarowski, etc., alors que le salon de la haute façon «Made in France», aide les jeunes créateurs dans la fabrication de leurs collections. Quant aux prix pour le concours de mode, il y a en trois: le Grand Prix du jury Première Vision de 15 000 euros, le Prix Chloé de 15 000 euros également, et le Prix du public et de la Ville d’Hyères. Mais laissons la parole à Jean-Pierre Blanc:

 

– Quel est le parti-pris du festival?

– Il y en a plusieurs. D’abord, c’est de soutenir les jeunes créateurs et photographes et de les accompagner dans la création de leurs premières collections. Ensuite, c’est de faire se rencontrer les jeunes professionnels de la mode et de la photographie, et enfin, de partager avec le public cette création. D’ailleurs, tous les défilés du festival sont gratuits.

 

– Quelles sont les conditions pour participer au festival?

– Tout jeune créateur ou photographe de tout pays peut y participer. La seule exigence est ne de jamais avoir présenté ses travaux en France et si possible à l’étranger, et ne pas avoir été commercialisé.

– Dans la création contemporaine, quels sont les pays qui produisent en ce moment les designers et photographes les plus prometteurs?

– Il n’y a pas de pays qui produisent, mais des écoles. Les écoles belges, par exemple depuis de très nombreuses années, forment de jeunes talents de manière remarquable, tout comme des écoles françaises et anglaises, même si, personnellement, je n’apprécie pas particulièrement ce que font les Anglais. En revanche, j’aime bien les écoles hollandaises et allemandes, mais aussi quelques créateurs d’Islande et de Finlande.

 

– Croyez-vous que, malgré cette ascension des créateurs étrangers, les designers français sont encore compétitifs?

– Oui, certainement. Il y a une mode dans la mode de dire que la création française ne va pas bien, que c’est tellement mieux à Londres ou à New York…! Mais vous savez, c’est tellement français de dire que rien ne va. Ça s’est dit il y a déjà 20 ans, ça se répète encore aujourd’hui, mais malgré ces mauvaises langues, la mode française est indétrônable.

Le festival d’Hyères a pour vocation d’être international et, même si de jeunes créateurs de 74 pays avaient participé à la présélection, les designers russes sont rarement au rendez-vous. C’est ce que regrette Jean-Pierre Blanc, en citant avec admiration le seul duo russe, Nina et Donis, qui avait participé au festival (2001) et qui… l’avait gagné! Nous sommes alors entrés en contact avec ce duo talentueux qui nous a fait part de ses impressions:

 

– Pourquoi avez-vous décidé de participer au festival d’Hyères?

– Parce que c’est le concours de jeunes designers en France le plus prestigieux et, puisque que la France est la capitale mondiale de la mode, ce concours l’est aussi au niveau mondial. Même une simple participation attire au designer une attention plus grande de la part des professionnels de la mode et de la presse, les plus influents dans l’industrie. D’autre part, le festival tire son prestige d’un haut niveau dans la réalisation de ses défilés: c’est du sérieux, c’est pas un concours d’étudiants. Mais nous avons appris tout ça plus tard, lorsque nous étions déjà arrivés à Hyères. Et nous nous sommes retrouvés là-bas car, en 2000, au concours de Lucerne (Suisse), où nous avions présenté notre collection hors compétition, une organisatrice du festival de Hyères est venue nous voir et nous a convaincus de passer la pré-sélection pour y participer.

– Quelles sont vos impressions sur ce festival?

– Beaucoup d’enthousiasme et de chaleur (même au sens propre du terme : le mois de mai, le sud de la France…). Mais je dois ajouter que c’est assez compliqué d’y prendre part. Le festival en lui-même dure une semaine. Il faut trois-quatre jours de préparation qui s’accompagnent d’essayages et de répétitions sans fin; parallèlement, le designer doit réaliser une installation qui dévoile l’idée de sa collection. Ensuite, c’est parti pour trois jours de présentation qui se déroulent selon un seul et même scénario: le matin, le designer présente son installation au jury, répond aux questions et fait voir sa collection sur les cintres. Les membres du jury peuvent retourner les vêtements, les palper, afin d’évaluer leur qualité. Et l’après-midi est dédiée aux défilés.

 

– Quelle importance a eu le festival d’Hyères pour votre carrière de designer?

– En Russie, nous sommes assez à l’écart du circuit de la mode européen et nous ne pouvions pas bénéficier de toutes ces opportunités qui se sont présentées à nous grâce au prix que nous avons remporté: un contrat avec une très prestigieuse agence de communication parisienne, un «corner» aux Galeries Lafayette. Tout ça à cause de notre bureaucratie, des barrières douanières, de la corruption, des lois qui étouffent les petites et moyennes entreprises… Nous parlons de 2001, mais à l’heure actuelle, la situation n’a pas beaucoup changé. Néanmoins, le festival s’est avéré une très bonne leçon professionnelle et a renforcé notre confiance en nous. Et c’est déjà beaucoup!

 

Du 26 au 29 avril 2017

Villa Noailles

83400 Hyères